À l’occasion du dixième Forum Destination International qui s’est déroulé le 23 juin 2016 à Toulouse, nous avons eu la chance de rencontrer l’Ambassadeur de France au Japon M. Thierry Dana et de lui poser quelques questions.

M. l’Ambassadeur de France au Japon Thierry Dana lors du Forum Destination International de Toulouse le 23 juin 2016 (© P-E De Lazzer)
M. l’Ambassadeur de France au Japon Thierry Dana lors du Forum Destination International de Toulouse, le 23 juin 2016 (© P-E De Lazzer)

Japoninfos.com : Bonjour M. l’Ambassadeur, vous avez quitté le monde de la diplomatie il y a presque neuf ans : à votre retour avez-vous remarqué des changements dans l’exercice de vos fonctions ou dans les relations diplomatiques avec le Japon ?

M. Thierry Danna : Bonjour, je souhaiterais tout d’abord remercier les organisateurs de ce Forum, la CCI, la région et les différents partenaires. J’ai été très impressionné par la mobilisation de tous les acteurs économiques de la région. Nous étions très heureux que le Japon soit à l’honneur et que l’on puisse en profiter pour présenter notre offre avec tous les services qui sont à disposition, notamment pour les entreprises : le service économique de l’ambassade, Business France, la Chambre du Commerce Française au Japon, les Conseillers de Commerce Extérieur du Japon, etc.

Pour répondre à votre question, j’étais effectivement en dehors du Quai d’Orsay à travailler avec les entreprises et j’ai moi-même créé une entreprise. Les changements que j’ai pu percevoir après cette absence plutôt conséquente, sont que la diplomatie économique commence à rentrer dans les faits. Je dis « commence » parce qu’entre le fait que cela ait été affiché politiquement depuis quelques années et le fait que cela soit effectif, c’est toujours long, l’administration bouge lentement. Aujourd’hui, c’est une réalité au quotidien des postes et cela n’était pas le cas à l’époque, ni avec la même ampleur ni avec la même priorité.

Pour répondre à votre deuxième question sur le Japon, nous avons toujours eu de très bonnes relations politiques avec ce pays mais je constate que notre relation a acquis en densité sur des sujets qui n’étaient pas prioritaires auparavant. Je citerai deux exemples : les questions de sécurité et de défense. Quelles que soient nos bonnes relations politiques, traditionnellement les questions de sécurité et de stratégie étaient plutôt des sujets réservés à la relation entre le Japon-États-Unis. Aujourd’hui c’est beaucoup plus ouvert, nous en parlons et avons même ce que l’on appelle un « 2 + 2 », c’est-à-dire Affaires étrangères et Défense. C’est le seul pays asiatique avec lequel nous avons un tel mécanisme, nous avons vraiment un dialogue approfondi sur ces questions. Il peut également comporter un volet équipement de défense. Celui-ci n’en est encore qu’à ses débuts mais il portera ses fruits

Un autre secteur qui était inabordable il y a dix ans : l’aéronautique. Aujourd’hui Airbus a fait, et ici à Toulouse vous êtes bien placés pour le savoir, une percée très significative au Japon. Évidemment nous ne sommes pas encore au bout du chemin, mais par rapport à là où nous étions il y a dix ans, c’est-à-dire nulle part, l’écart est considérable et le potentiel est immense.

Pour rebondir sur les questions économiques, quels conseils donneriez-vous à une entreprise qui souhaiterait travailler avec le Japon et, selon vous, quels sont les enjeux et opportunités d’implantation à l’heure actuelle ?

Alors je crois qu’il n’y a pas de recette miracle et unique, tout dépend de l’entreprise, de son produit et de sa stratégie. Le Japon est un pays pour toutes les catégories d’entreprise. Nous l’avons vu avec Airbus, c’est un pays de grands contrats, de contrats lourds. Nous avons d’autres grandes entreprises françaises qui sont au Japon mais c’est aussi un pays pour PME et ETI. Sur les 11 000 entreprises françaises qui exportent Japon, il y a plus de 70 % de PME ce qui fait un volume assez conséquent. Cela montre que ce n’est pas un marché fermé aux petites entreprises. Il est clair que quelle que soit la dimension de l’entreprise, grosse ou petite, je dirais qu’il y a quelques règles de base.

La première, c’est qu’il faut apporter quelque chose que les Japonais n’ont pas. Parce que c’est un pays où on ne va pas la fleur au fusil, il faut bien réfléchir à sa stratégie, bien voir quel est le plus de son produit et s’il y a une véritable valeur ajoutée, qu’elle soit en image, en technologie ou en qualité. Ce n’est pas toujours le même critère mais dans ces conditions, on peut se dire que l’on percera. Il s’agit ici de la première réflexion et il appartient à l’entreprise de la mener. Même si nous pouvons l’aider, c’est quand même à elle de prendre cette décision fondamentale.

La seconde réflexion, c’est que dans l’hypothèse où la décision est positive, il faut s’attendre à un parcours de longue haleine mais qui portera des fruits. On ne fait pas un coup, ce n’est pas un pays de marché spectaculaire où on arrive et tout d’un coup on a un contrat qui représente une année de chiffre d’affaires à l’occasion d’une rencontre. Cela ne se passe pas comme ça au Japon. Mais on va y nouer des relations, commencer petit et puis grossir progressivement et surtout, une fois que l’on est établi, on a une récurrence, une fiabilité chez les partenaires et les fournisseurs, une fiabilité du système juridique et une sécurité du point de vue de la propriété intellectuelle qui offre un cadre assez rassurant, notamment pour les PME. C’est long et difficile, il y a le problème de la langue, il faut avoir conscience que les Japonais parlent peu les langues étrangères et donc tout ceci est un investissement. Cependant toutes les PME que je rencontre au Japon et qui ont commencé à percer se réjouissent de leur progression. Il y en a qui font un petit chiffre mais qui reviennent chaque année pour des salons ou pour des évènements similaires, et qui grandissent un peu tous les ans. Cela me rappelle cette règle basique de l’économie : les gens qui ont un commerce disent qu’il vaut mieux avoir un client qui vient vous acheter quelque chose de petit tous les jours régulièrement et qui va vous en acheter deux puis trois au bout d’un moment que quelqu’un que vous voyez débarquer, qui vous achète tout le magasin et que vous ne revoyez plus parce qu’il a disparu ou pire encore parce qu’il ne vous a pas réglé la facture. Cela, ce n’est pas le Japon.

Cependant pour une PME, je pense que si c’est un marché difficile et exigeant, il est aussi sécurisant et doté d’un potentiel intéressant Les Japonais sont prêts à payer des prix conséquents, ils ont un fort pouvoir d’achat,  sont attachés à la relation client-fournisseur. Dans l’archipel on ne bâtit pas sur du sable.

Et inversement, très brièvement, que dire des entreprises japonaises qui souhaitent venir en France ?

Les entreprises japonaises qui viennent en France sont globalement très satisfaites. Il y a deux types d’entreprises : celles qui vendent en France et celles qui s’y sont installées ou qui ont investi en France. Personnellement, je connais surtout celles qui ont investi parce que c’est celles que l’on encourage. Les sociétés qui ont investi dans la région, ont soit choisi en « greenfield », c’est-à-dire à partir de rien, et l’exemple le plus spectaculaire est bien sûr Toyota, soit elles ont racheté une entreprise pour se développer. Deux me viennent à l’esprit : Horiba à côté de Montpellier qui a racheté une entreprise et a développé à partir de cette entreprise un centre de recherche et une ligne de production ; Otsuka qui a également racheté une entreprise à côté de Toulouse. Et il y en a d’autres environ une trentaine sur la région. Toutes celles dont j’ai rencontré les dirigeants au Japon se montrent satisfaites de leur investissement. Alors les Japonais sont très polis et on pourrait estimer qu’ils déclarent cela par politesse mais dans leur décision, généralement, ils renforcent leur présence ce qui prouve la véracité de leurs propos et de leur satisfaction .

En mai dernier le Premier ministre M. Shinzô Abe a été reçu à Paris par le Président M. François Hollande et celui-ci s’est rendu au Japon à l’occasion du G7. Ils ont mis en place depuis 2013 un partenariat d’exception entre nos deux pays, aujourd’hui comment se manifeste ce partenariat et quels sont ses atouts ?

Nous avons d’abord une relation très dense au niveau politique donc pour les Chefs d’État et de gouvernement il y a un sommet annuel, ils se voient même plusieurs fois par an. Pour le sommet de 2015, c’est le le Premier ministre Manuel Valls qui est venu à Kyôto et à Tôkyô pendant deux jours et demi. Cela a été un voyage très dense mais très réussi. C’est notamment là qu’il a lancé « l’année de l’innovation ».

M. Abe est venu à Paris à la fois et largement pour préparer le G7 mais aussi pour faire le point sur nos relations bilatérales. Il est également venu annoncer un certain nombre de décisions assez symboliques, notamment celle d’organiser en France en 2018 un grand événement – Japonisme – consacré au Japon à l’occasion du 150ème anniversaire de l’ère Meiji*, début de l’ouverture du Japon vers le monde. Le fait qu’ils aient choisi Paris pour organiser cet événement est très symbolique de la qualité de notre relation. Comme je vous le disais, au niveau des Ministres, il y a les Ministres des Affaires étrangères qui ont un dialogue stratégique, il y a le « 2 + 2 », il y a le dialogue économique de haut niveau entre les deux Ministres des Finances que nous avons mis en place il y a un an et il y a aussi tout un flux de ministres. M. Fekl (Secrétaire d’État auprès du Ministre des Affaires étrangères et du Développement international, chargé du Commerce extérieur, de la Promotion du tourisme et des Français de l’étranger) me disait qu’il allait venir également. Le partenariat dit d’exception est nourri de beaucoup de concertations et de coopérations qui marchent plutôt bien.

*Et aussi les 160 ans de l’amitié franco-japonaise.

Avec les attentats de Paris qui ont lieu récemment le ministère des Affaires étrangères du Japon appelle ses ressortissants à la plus grande vigilance lorsqu’ils viennent en France, comment travaillez-vous avec les autorités japonaises pour rassurer les touristes nippons et leur redonner envie de visiter la France ?

C’est vrai que l’on a accusé le coup et que le public japonais est particulièrement prudent. Par conséquent, il veut que les choses soient organisées, prévisibles et sures. Le premier point c’est qu’ils soient bien informés. Des mesures ont été prises pour assurer la sécurité et le fait est que depuis ces terribles attentats, il y a eu de gros événements qui se sont déroulées en France. Par exemple la COP21 qui a attiré 40 000 visiteurs et de nombreux officiels, « des cibles idéales pour les terroristes ». Grâce aux mesures prises je crois que tout s’est bien passé et qu’il n’y a pas eu d’incident. Depuis, un gros travail de démantèlement a eu lieu. Aujourd’hui quand vous vous promenez à Toulouse ou à Paris vous n’avez pas l’impression d’être dans un pays dangereux.

Je crois que le premier point, et ça nous y veillons aussi avec nos amis de l’ambassade du Japon à Paris, c’est que nous ne diffusons pas de mauvaises informations, notamment nous ne diffusons pas des rumeurs qui sont des rumeurs de presse où je ne sais quoi. Je dirais là aussi, même si ce n’est pas de la même nature, qu’il y a également des dangers qui surviennent parfois au Japon. Kumamoto a été un désastre, nous avons décrit les faits et avons renvoyé sur le site des autorités japonaises pour informer les touristes français de la situation. Je crois que c’est une sorte de confiance réciproque et que ça c’est le premier point.

Ensuite il faut que le temps fasse son effet, que l’on diversifie l’offre touristique française, que l’on propose de nouveaux circuits, de nouveaux produits, ce dont à quoi on s’attèle. La région de Toulouse est pour cela extrêmement bien armée. Vous avez plein de choses à proposer : de la culture, de la gastronomie, des sites naturels et des villages, des choses que les japonais adorent.

Votre visite est un signe pour l’économie locale et pour la grande région qu’est l’Occitanie. Outre l’aéronautique, quels sont, selon vous, les atouts de la région pour tisser des liens avec le Japon ?

Les atouts sur le plan touristique je viens d’en parler. Sinon la nouvelle région, par sa situation géographique, son ouverture sur la méditerranée, sa place dans l’Europe, offre évidemment des tas d’opportunités pour le Japon. À cela s’ajoute bien sûr le pôle aéronautique et spatial qui est un pôle d’excellence qui nous permet de valoriser la technologie. Et je pense que l’on coche un peu toutes les cases avec la région depuis la haute technologie, l’aéronautique, les grandes entreprises, tous les sous-traitants, les PME et ETI et les produits agroalimentaires. Nous avons beaucoup à proposer et je pense que pour les Japonais toute cette région est un pôle d’excellence, d’ailleurs la preuve en est que les entreprises japonaises s’y sont installées.

Récemment la Ministre de l’Éducation Najat Vallaud-Belkacem a annoncé la création d’un CAPES de japonais montrant ainsi l’intérêt des français pour la langue japonaise. Que voulez-vous dire à cette jeunesse qui s’engage dans cette voie et qui représente les futures relations franco-japonaises ?

Pour quelqu’un qui a un projet au Japon, qui aime le Japon sa culture et qui veut travailler en relation avec le Japon c’est évidemment non seulement un plus mais je dirais même un « must », donc c’est formidable. On souhaite développer l’enseignement du japonais en France comme on souhaite évidemment développer l’enseignement du français au Japon dans les universités mais aussi à travers les instituts, nos alliances françaises, etc. Nous avons également besoin du soutien du gouvernement japonais pour cela. Il y a un flux d’intérêt réciproque et je pense que c’est très bien que nous puissions aller au-delà. Ce projet a été extrêmement bien perçu par les autorités japonaises lorsque la Ministre l’a annoncé à son homologue M. Ase en marge du G7 Éducation tenu à Kurashiki il y a deux mois maintenant. C’est un élément supplémentaire qui renforce notre coopération.

Pour clore cette interview avez-vous avez quelque chose à ajouter ?

Nous étions très heureux d’être à Toulouse et nous espérons que cela a été utile à ceux à qui nous nous sommes adressés, que cela soit les institutions ou les entreprises. Le prochain grand rendez-vous avec la région mais aussi dans notre calendrier bilatéral, c’est la fin de l’année de l’innovation par un grand événement organisé à Ôsaka début décembre. La Présidente de la Région nous a dit qu’elle pensait venir, ce qui est pour nous une très bonne nouvelle. Elle viendrait avec une délégation large c’est-à-dire ses collègues, l’université fédérale et des entreprises. C’est donc une approche globale qui nous semble très utile pour la relation avec le Japon axée sur le thème de l’innovation qui est un peu cette année le point d’orgue de notre relation.

Nous remercions M. l’Ambassadeur Thierry Dana et M. le Ministre conseiller pour les affaires économiques Pierre Mourlevat de nous avoir accordé un peu de leur précieux temps.

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