A la fin juillet, la Chine détenait 518 milliards de dollars (374 milliards d’euros) de bons du Trésor américain, ce qui en fait le deuxième bailleur de fonds des Etats-Unis derrière le Japon (593,4 milliards) -, mais le premier pour la proportion détenue par les pouvoirs publics, c’est-à-dire sa banque centrale. En outre, Pékin détient également des engagements sur la dette à long terme de Freddy Mac et Fanny Mae, les deux géants du financement du marché immobilier américain, pour l’équivalent de 376 milliards de dollars, selon James McCormack, chef des notations de risques souverains pour l’Asie à Fitch Ratings à Hongkong.

Les implications de la crise financière américaine sont majeures pour la Chine : dès le mois d’août, l’éventualité d’un effondrement de Freddy Mac et Fanny Mae avait suscité nombre de débats sur les risques d’une exposition si large. Liu Mengxiong, un homme d’affaires conseiller du gouvernement de Hongkong sur la politique chinoise, et député à la conférence consultative du peuple (sorte de Sénat au rôle consultatif), s’était indigné du manque de discernement du gouvernement chinois et de ceux qui étaient en charge de placer les réserves en devises du pays. Ses papiers dans la presse de la Région administrative spéciale avaient fait grand bruit. Ils circulèrent largement en Chine, mais uniquement sur Internet, signe de la sensibilité de la question. Depuis, l’annonce du sauvetage des deux agences a soulagé les angoisses des contribuables chinois, et des grands argentiers du pays.

Si les intentions du gouvernement restent difficiles à déchiffrer, les observateurs imaginent mal la Chine se délester de ses avoirs en dollars sans précipiter leur dévaluation : il y a un an, l’éventualité d’une liquidation par Pékin de ses bons du Trésor américain avait défrayé la chronique de part et d’autre du Pacifique. Des responsables financiers chinois avaient préconisé le recours à cette arme nucléaire financière pour contrer les très fortes pressions américaines, assorties à l’époque de projets de loi en faveur d’un yuan plus fort. Désormais, Pékin ne devrait pas continuer à financer les déficits américains sans contrepartie, notamment plus de flexibilité de la part des Etats-Unis vis-à-vis de sa politique de change. Une réévaluation trop brutale du yuan par rapport au dollar déprécierait d’autant les actifs américains détenus par la Chine, mais risquerait aussi d’accentuer l’impact du ralentissement de la consommation américaine sur la machine à exporter chinoise.

Plus pragmatiques, les investisseurs privés ou publics chinois vont-ils profiter de la débâcle à Wall Street pour consolider leurs avoirs ? C’est ce à quoi encourageait Anthony Leung, président pour la Chine du fonds d’investissement américain Blackstone, les 27 et 28 septembre, à Tianjin, lors des débats du Forum économique mondial, le Davos chinois : le fonds souverain chinois (China Investment Corp. – CIC) et les banques se trouvent en face « d’une opportunité rare, comme il y en a une dans le siècle, d’acheter à bas prix des actifs stratégiques », a-t-il déclaré. Or, le CIC, qui possède déjà 9 % de Blackstone, a vu fondre son placement de près de la moitié. Parce qu’ils ont investi à Wall Street sur le tard, les Chinois semblent aujourd’hui particulièrement échaudés : même l’assureur Ping An, qui était très peu exposé à Wall Street, a perdu près de 1 milliard d’euros sur Fortis.

PRESSION

Au Japon, c’est davantage un affaiblissement du dollar qui semble inquiéter les autorités plutôt qu’une nouvelle dégradation des comptes publics américains. Le billet vert représente, en effet, en bons du Trésor américain et en dépôts, quelque 90 % des réserves de devises de l’Archipel. La dépendance à la monnaie américaine, historique autant que politique, contraint le Japon à agir pour empêcher une chute du dollar, ce qui entraînerait, comme pour la Chine, une dépréciation de ses actifs. La croissance observée depuis 2002, après dix années de crise, se fonde sur des exportations facturées en dollars. Sous la pression du lobby des industriels, le gouvernement a tout fait pour empêcher le billet vert de s’affaiblir, investissant en 2003 et 2004 35 000 milliards de yens (234 milliards d’euros) dans des bons du Trésor américain.

Depuis, les groupes privés ont pris le relais. « La croissance limitée au Japon incite à investir à l’étranger, en Asie, et dans les nations émergentes, où les transactions se font surtout en dollars », explique une analyste, même si, fait remarquer Mitsuhiro Fukao, du Centre japonais de recherche économique, le JCER, « on observe depuis peu une diversification vers l’euro ». Cela dit, les entreprises nippones paraissent moins sensibles à l’appréciation du yen que dans les années 1990. « Aujourd’hui, la production se fait essentiellement hors du Japon, ce qui limite l’impact d’un yen trop fort », explique Yoshio Sakuma, de l’Institut des études économiques internationales, proche de Toyota. Les institutions financières nippones, longtemps préoccupées par le règlement du fardeau des créances douteuses, semblent peu touchées par le poison des subprimes et ont accumulé d’importantes réserves de liquidités.

Tout en faisant preuve de prudence, le Japon semble donc rester confiant dans l’économie américaine. « Le gouvernement attendrait une sortie de crise aux Etats-Unis d’ici deux ou trois ans, suivie d’une nouvelle période de croissance », estime M. Fukao. Quant au creusement des déficits américains, il n’inquiète pas particulièrement le pays où le gouvernement s’apprête à recourir à la dépense publique pour relancer l’activité et où, rappelle M. Fukao, « la dette représente toujours 180 % du produit intérieur brut ».

Philippe Mesmer (à Tokyo) et Brice Pedroletti (à Pékin)
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