Malgré l’ambiance bon enfant qui règne en Chine, de nombreux Japonais craignent une poussée de nippophobie. Une peur alimentée par une méfiance réciproque.

Le 10 août, troisième jour des Jeux olympiques de Pékin, le drapeau japonais a été hissé et l’hymne national de l’archipel a retenti au moment où le judoka Masato Uchishiba montait sur la plus haute marche du podium, rapportant au Japon sa première médaille d’or de la compétition. Beaucoup de Japonais qui suivaient cette cérémonie à la télévision ont dû se demander avec une légère appréhension comment les Chinois présents sur le lieu allaient réagir. Mais la plupart des spectateurs se sont levés et ont applaudi les performances des médaillés.

En 2004, lors de la Coupe asiatique de football, qui se déroulait en Chine, la situation avait été beaucoup plus mouvementée. Pendant tout le tournoi, les spectateurs chinois avaient pris systématiquement parti pour l’équipe adverse du Japon et hué les joueurs japonais. Après la finale, où le Japon avait battu l’équipe de Chine, le car des joueurs japonais avait même été encerclé par une foule de supporters chinois excités. Une vague de manifestations antijaponaises s’était étendue dans toute la Chine. Ces événements sont encore frais dans nos mémoires. Cet été, même si nous prenons plaisir à suivre les Jeux olympiques, nous ne pouvons nous empêcher de redouter une nouvelle flambée de nippophobie.

Il va sans dire que ces sentiments sont liés au souvenir de la Seconde Guerre mondiale [au cours de laquelle l’armée impériale a commis de nombreuses atrocités en Chine]. Pourtant, les rangs de ceux qui l’ont vécue se dégarnissent rapidement. Ce sont leurs enfants, petits-enfants et arrière-petits-enfants qui occupent aujourd’hui une position centrale dans la société chinoise. On peut donc se demander ce qui pousse les jeunes générations à honnir le Japon.

Il y a trois ans, après les violentes manifestations antijaponaises, des étudiants des universités de Tokyo et de Pékin ont mis en place un lieu de discussion, le Forum Jing, afin de “débattre en toute franchise des mesures à prendre pour améliorer les relations bilatérales”. Lors des deux dernières rencontres, les Chinois se sont montrés très critiques. “Les Japonais invoquent souvent comme excuse que la guerre était menée par les militaires, qui contrôlaient tout, mais, de notre point de vue, l’armée fait partie intégrante du Japon”, a remarqué l’un d’eux. “Le régime nippon d’après-guerre est dans la continuité de celui d’avant-guerre”, a observé un autre. Et un troisième a ajouté que “les entreprises japonaises exportent vers la Chine des produits de mauvaise qualité”.

Hiroyuki Yamagata, un Japonais de 25 ans qui a participé au forum de 2007, a relevé beaucoup de préjugés et de malentendus chez les étudiants chinois, mais il a eu l’agréable surprise de constater que, malgré tout, la majorité d’entre eux n’étaient pas animés de sentiments antijaponais primaires. Des étudiants chinois qui exprimaient un profond ressentiment à l’égard du militarisme passé du Japon se disaient par ailleurs envieux de sa croissance économique d’après-guerre. Nombre d’entre eux critiquaient sévèrement les visites officielles des Premiers ministres japonais au sanctuaire Yasukuni [où sont honorées les âmes de soldats morts pour la patrie, parmi lesquels figurent des criminels de guerre]. D’autres exprimaient de la sympathie pour ceux qui y honorent la mémoire de leurs proches décédés durant le conflit.

Le meilleur moyen de construire une amitié

Les générations d’après-guerre, et en particulier les jeunes, tirent l’essentiel de leurs connaissances sur la Seconde Guerre mondiale des informations fournies par les médias et de l’éducation qu’ils ont reçue. Cela peut parfois générer des opinions qui ne reflètent pas la réalité. Leurs positions sur la guerre ont également tendance à être influencées par la conjoncture politique. Lors d’une enquête réalisée en 2006 dans cinq universités chinoises, 53 % des étudiants interrogés ont affirmé que la tendance politique dominante dans le Japon d’aujourd’hui était le militarisme ; seuls 18 % citaient la démocratie et 9 % le pacifisme [inscrit dans la Constitution]. Il est possible que les sentiments antijaponais des Chinois aient des points communs avec l’antipathie qu’un certain nombre de Japonais éprouvent vis-à-vis des Chinois. Il est indéniable que celle-ci est moins fondée sur la réalité de la Chine d’aujourd’hui que sur des préjugés et des incidents comme la récente intoxication alimentaire provoquée par des raviolis importés de Chine [qui a touché plusieurs milliers de consommateurs japonais au début de 2008]. Cette aversion du peuple japonais pour son voisin chinois peut s’expliquer par la transformation de la Chine en une grande puissance, mais aussi par l’irritation ressentie par les Japonais devant leur tendance actuelle à se replier sur eux-mêmes. Cette antipathie réciproque, agissant comme un miroir, reflète l’état actuel des relations entre les deux puissances asiatiques. Reste à savoir si les deux peuples parviendront à la surmonter.

Zhang Yi, un étudiant de l’université de Pékin âgé de 19 ans, prépare activement le troisième Forum Jing, qui doit se tenir à l’automne. “Je propose que les étudiants des deux universités témoignent de ce qu’ils ont appris de l’autre pays à l’école et dans leur famille. Je pense qu’il est plus important de comprendre pourquoi nous ne pouvons pas nous rapprocher plutôt que de nous forcer à nous rapprocher”, estime-t-il. Les deux peuples doivent s’efforcer de comprendre les malentendus qui les opposent et faire preuve de souplesse d’esprit. C’est peut-être une façon détournée d’améliorer les relations bilatérales, mais c’est probablement le meilleur moyen de construire une confiance et une amitié réciproques. C’est d’autant plus important que les différences entre les deux pays évoluent avec le temps.
Les relations sino-japonaises sont vouées à connaître d’autres tensions. Or la confrontation d’antagonismes n’est jamais constructive. En ce 63e anniversaire de la fin de la dernière guerre, que l’on célèbre le 15 août au Japon, les Jeux olympiques de Pékin symbolisent l’ascension de la Chine au rang de grande puissance mondiale, une ascension qui requiert un nouveau mode de relations bilatérales. Les efforts entrepris par les jeunes générations pour mieux se comprendre constituent un signe encourageant en la matière.

Asahi Shimbun

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