Le système Teikei pour une société durable
Par Shinji Hashimoto

En 1992, s’est tenu le Sommet de la Terre de Rio pour débattre des problèmes d’environnement mondiaux et proposer des solutions. A cette occasion, chaque pays a reconnu l’importance de la responsabilité de chaque individu dans la gestion de l’écosystème terrestre. L’agriculture biologique, ou la production d’aliments qui respecte la santé et la terre, est une des solutions pour construire une telle société.

Depuis lors, le marché des produits biologiques s’est considérablement accru et de nombreuses techniques de production ont été introduites. Nous avons constaté que le volume financier de l’industrie biologique a augmenté de plusieurs milliards de dollars depuis son origine. Mais devons-nous être satisfaits des orientations actuelles ? Bien que les techniques de production des produits biologiques diffèrent de celles des produits conventionnels, les modes de distribution et de consommation restent les mêmes. La philosophie du bio ne pourrait-elle pas être appliquée également aux systèmes de distribution et de consommation ? C’est peut-être aujourd’hui le moment de réaliser que le système Teikei est une méthode de production, de culture, de distribution et de consommation efficace qui peut assurer un avenir au mouvement biologique.

1 L’origine de Teikei

C’est dans les années 60, lorsque le Japon connut un essor économique mondial, que le système Teikei a soutenu l’agriculture biologique. Alors que le niveau de vie global s’améliorait, des problèmes sociaux firent leur apparition. Dans les zones urbaines, l’augmentation de la population entraînait l’augmentation du trafic, de la pollution, de la délinquance et la dégradation des valeurs traditionnelles. De nombreuses personnes se retrouvèrent isolées et souffrirent de dépression. Le profit étant devenu une priorité, on introduisit toutes sortes d’additifs dans les aliments, ce qui provoqua la méfiance parmi les consommateurs. En 1975, l’opinion publique fut encore plus alertée par la parution d’un livre de Sawako Ariyoshi, intitulé « Fukugouosen » (un terme japonais qui signifie « pollution complexe ». Cet ouvrage révélait les dangers que représentait l’utilisation de pesticides, engrais chimiques, herbicides et antibiotiques. Au même moment, des agriculteurs contractaient des maladies après avoir utilisé des pesticides et herbicides. Aussi, des consommateurs sensibilisés par ces problèmes, décidèrent de modifier leurs mode d’alimentation et rencontrèrent des agriculteurs prêts à changer leurs méthodes de cultures pour donner la priorité à la santé plutôt qu’a l’apparence des produits. Ce fut le début du système Teikei. Le mot Teikei signifie « partenariat ». C’est dans cet esprit que l’Association Japonaise pour l’Agriculture Biologique fut fondée en 1970 avec des consommateurs fermiers, étudiants, fonctionnaires et des ouvriers des coopératives pour promouvoir le système Teikei. Dans le système Teikei, les relations entre consommateurs et producteurs sont directes. Il n’y a pas d’intermédiaire ni d’organismes de contrôle qui coûtent cher. Le prix des produits est donc très compétitif face à ceux pratiqués par les filières conventionnelles de distribution. Le système Teikei est basé sur 10 principes :

1. Etablir des liens cordiaux et créatifs, pas seulement des relations économiques
2. Produire selon une charte établie par les producteurs et les consommateurs
3. Accepter les produits proposés par le producteur
4. Etablir un prix qui conviennent aux deux parties
5. Favoriser la communication afin d’assurer le respect et la confiance mutuels
6. Organiser la distribution, soit par les consommateurs eux-mêmes ou par les producteurs
7. Respecter la démocratie dans toutes les activités
8. S’informer sur tous les sujets concernant l’agriculture biologique
9. Maintenir un nombre d’adhérents suffisant dans chaque groupe
10. Progresser, même lentement, vers l’objectif final qui est d’instaurer l’agriculture biologique et l’écologie.

Comme nous l’avons vu plus haut, le système Teikei met l’accent sur l’aspect écologique de l’agriculture avant l’aspect technique de l’agriculture durable. Nous pensons qu’à l’heure actuelle, les problèmes de l’agriculture ne seront pas résolus par le simple fait que des fermes se convertiront au biologique. Si l’on n’étudie pas de près des systèmes de production et de consommation plus larges, il sera difficile de pérenniser le mouvement écologique.

2 La dynamique du système Teikei

Dans les conditions actuelles de distribution, les matières premières alimentaires voyagent d’un bout à l’autre du globe, provenant des pays pauvres vers des pays riches ce qui fait que les agriculteurs des pays développés souffrent de la concurrence des pays du tiers-monde. On encourage alors la monoculture, ce qui implique l’utilisation massive de pesticides et d’engrais chimiques. La grande distribution pour laquelle ce type de culture est destinée utilise des moyens de transport, gros consommateurs d’énergie et responsables de pollution.

De nombreux groupes Teikei ont favorisé la production et la consommation locales pour stopper ce processus. Les agriculteurs Teikei cultivent une grande variété de légumes, parfois jusqu’à 80 sortes. Des systèmes complexes de rotation des cultures avec différentes variétés de plants permettent de conserver une diversité naturelle. Les produits de saison sont distribués directement aux consommateurs, parfois par l’agriculteur lui-même. La proximité géographique favorise les liens d’amitié et l’entente mutuelle. Lorsque les consommateurs résident dans une ville à proximité d’un petit agriculteur bio, les dépenses en énergie du transport sont réduites et permettent de diversifier les cultures et d’abaisser les coûts de production. Cette synergie peut rendre possible une société réellement écologique.

3 Les trois R : Réutiliser, Réduire, Recycler

Le lien direct entre producteurs et consommateurs élimine les besoins en emballages coûteux et en marketing. Des vieux journaux, des sacs plastiques provenant du supermarché ou des sacs en papier peuvent être réutilisés. Les consommateurs rapportent ces emballages pour la prochaine distribution. Il y a même des groupes où les consommateurs utilisent leurs déchets pour faire du compost qu’ils apportent à leurs agriculteurs. Les relations étroites entre producteurs et consommateurs permettent de réduire, réutiliser et recycler bien plus facilement.

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4 Préservation de l’environnement local

Traditionnellement, l’équilibre écologique et la diversité naturelle étaient assurés par l’autosuffisance des populations rurales. Aujourd’hui, la production et la consommation de masse ont complètement changé les modes de vie. Chez Teikei, le prix de chaque produit est discuté entre producteurs et consommateurs en tenant compte du revenu nécessaire aux producteurs pour gérer leur ferme et en fonction des demandes des consommateurs. On peut alors déterminer la surface à cultiver pour éviter la surproduction. Les échanges entre citadins et ruraux permettent également de faire circuler les informations et ainsi, de comprendre les causes de la dégradation de l’environnement. Ces liens étroits conduisent souvent à des actions de protestation contre l’exploitation irraisonnée des terrains par des sociétés privées ou des organismes publics. Il existe même au Japon des villages qui ont été déclarés « villages biologiques » grâce, en partie, à l’action des consommateurs et des producteurs de Teikei.

5 Education à l’environnement

Nombreux sont ceux qui croient que l’éducation ne se fait qu’à l’école ou au sein d’organismes communautaires. Beaucoup de militants écologistes organisent des colloques et parlent des problèmes graves de l’environnement. Il y a d’autres manières d’agir, comme, par exemple, visiter une ferme biologique où l’on peut admirer l’harmonie entre l’homme et la nature, où l’on peut entendre le témoignage d’agriculteurs qui ont contracté une maladie après avoir utilisé des pesticides et où l’on peut voir comment sont produits les aliments que l’on consomme tous les jours. L’éducation à l’écologie ne se fait pas uniquement par les livres ou les conférences ; les visites de terrain et la communication sont nécessaires pour créer une société viable.

Les membres des groupes Teikei peuvent visiter les fermes et aider les producteurs de temps à autre. C’est une excellente occasion pour les familles citadines de comprendre ce qu’est l’agriculture du point de vue écologique et pour les agriculteurs d’être informés sur les problèmes des consommateurs en zone urbaine. Au Japon, de nombreux groupes de citoyens se sont formés à partir de Teikei, tant en zone urbaine que rurale, pour protester contre les centrales nucléaires, des groupes de recherche sur la dioxine ont été créés ainsi que des réseaux anti-OGM ou des groupes d’études sur les incinérateurs, etc. Les gens seront plus motivés s’ils ont la possibilité de voir les problèmes et réaliser qu’ils sont directement concernés par les problèmes écologiques. Teikei aide à penser globalement et agir localement.

Comme nous l’avons vu plus haut, Teikei n’est pas seulement un système alternatif de distribution de produits bio. Il propose aussi un système de distribution et de consommation écologiques qui favorise des relations dynamiques et créatives entre producteurs et consommateurs.

Les systèmes d’échanges directs et la prise de conscience sur l’écologie soutenus par le mouvement Teikei sont nécessaires pour que le mouvement biologique se développe.

6 La situation actuelle de Teikei

A l’heure actuelle, la situation du mouvement Teikei est précaire. Depuis sa création, Teikei a fonctionné sans aucune subvention du gouvernement ni soutien du monde des affaires. Il n’y a jamais eu de système de contrôle ou de normes établies, tout était basé sur la confiance réciproque entre producteurs et consommateurs. Aujourd’hui, cependant, la tendance à la mondialisation des normes ainsi que la confusion qui règne sur le marché intérieur japonais des produits bio retiennent l’attention des groupes Teikei. De plus, le gouvernement, poussé par le CODEX et la promulgation de lois sur l’alimentation aux Etats Unis et en Europe, a créé un comité de normalisation de l’alimentation biologique). Un projet de loi sur l’alimentation bio a été divulgué qui oblige les agriculteurs bio à se soumettre à des contrôles effectués par un organisme officiel créé par le gouvernement et selon des normes établies par lui. Les produits bios qui ne répondront pas à cette nouvelle réglementation n’obtiendront pas le label « biologique ». Les directives sur la normalisation que le gouvernement avait tout d’abord établies étaient arbitraires. Aujourd’hui, elles sont obligatoires. Elles peuvent être utiles pour contrôler le marché bio où un grand nombre de détaillants, qui ne sont soumis à aucune inspection ni réglementation, vendent des produits soi-disant bio sur lesquels les consommateurs n’ont aucune garantie. Beaucoup d’agriculteurs bio japonais se méfient de la politique agricole mise en place par des bureaucrates et qui ne tient pas compte de la situation des agriculteurs. La plupart du temps, ils recopient des normes créées par des pays occidentaux et qui ne sont pas adaptées au climat de mousson des pays d’Asie. De plus, la loi sur les produits biologiques risque d’entraîner des dépenses inutiles pour les groupes Teikei, en frais d’inspection et de certification. L’un des avantages du système Teikei est que les prix sont raisonnables. Si la loi est appliquée au mouvement Teikei, cela entraînera une augmentation des prix pour les consommateurs et un surcoût pour les producteurs. Cette loi risque également de décourager les consommateurs qui quitteront le réseau. Quelques groupes Teikei, inquiets de ce projet de loi, ont déjà établi leurs propres normes pour contrer le projet gouvernemental, pendant que d’autres rejettent le projet et protestent contre toute tentative gouvernementale pour imposer son système de normes. Mais tous s’accordent à dire qu’un organisme de contrôle, qu’il soit public ou privé, nuirait à l’indépendance du mouvement.

Le mouvement Teikei est un système de contrôle en soi. La confiance et l’échange, les petites dimensions des groupes et l’engagement de chacun le prouvent. Si des normes et des contrôles sont appliqués de manière générale, un système de contrôle indépendant, exercé par les producteurs et les consommateurs eux-mêmes (comme cela se fait déjà chez Teikei), doit être reconnu et pris en compte indépendamment. Pour cela, Teikei a besoin d’un soutien international pour se développer afin que les consommateurs réalisent quel profit ils peuvent en tirer par rapport au système conventionnel et quel est le potentiel de développement de l’agriculture bio. Nous devons protéger, préserver et encourager Teikei au sein du mouvement international pour le biologique, IFOAM.

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