A l’occasion du 150e anniversaire des relations franco-japonaises, pas moins de six expositions à Paris. Un sas vers la beauté.

Quand des amis étrangers de passage demandent à Issey Miyake où rencontrer la « beauté japonaise », le couturier les envoie invariablement au Mingeikan, le musée d’Art populaire de Tokyo. L’élégante présentation, Quai-Branly, de chefs-d’oeuvre venus de ce musée et d’ailleurs-« L’esprit Mingei au Japon »-permet de saisir toute la subtilité du conseil d’Issey Miyake.

Cette manifestation très maîtrisée peut en effet se voir comme une sorte de sas idéal pour accéder à l’esthétique d’un pays qui a inauguré ses relations diplomatiques avec la France il y a exactement cent cinquante ans. Négligeable au plan économique, cette rencontre est d’abord un choc artistique : le destin de la peinture en a été passablement bousculé. Van Gogh, Monet et les autres découvrent, éberlués, les estampes du « monde flottant » ( voir encadré ), petites merveilles se passant souvent de la perspective et jouant résolument les grands aplats. Jusque-là, pendant une longue période qui commence dès Mazarin, n’avaient été collectionnés que des objets somptuaires, comme ces laques dont Marie-Antoinette était toquée et que les meilleurs ébénistes du XVIIIe intégraient parfois à leurs commodes ou consoles.

L’exposition du Quai-Branly explique comment le Japon, après la course-poursuite avec l’Occident durant l’ère Meiji, veut renouer avec sa propre tradition du beau, par exemple avec ces jarres belles comme des céramiques Song. Ou encore ces bouilloires en fonte dont le décor grêlé faisait chanter l’eau quand elle commençait à frémir et que l’industrialisation menaçait de faire disparaître. L’adoption de vêtements occidentaux a failli éliminer ces kimonos au tissage admirable, les extravagantes capes de pluie en fibres végétales sous lesquelles s’abritaient les paysans jusqu’au coeur des années 50 n’ayant pas résisté, elles, à l’invasion du Nylon.

Harmonie au quotidien et esprit zen

Inauguré par un philosophe remarquable, Soetsu Yanagi (1889-1961), l’esprit Mingei, dans sa volonté de faire coïncider le beau avec les objets du quotidien, a croisé les recherches de quelques-uns des créateurs occidentaux les plus remarquables. En rupture de ban avec l’Allemagne nazie, l’architecte Bruno Taut, ex-professeur au Bauhaus, médite les idées de Yanagi et en profite pour dessiner au passage quelques objets pour l’industrie nipponne. Après avoir créé avec Le Corbusier quelques-uns des meubles emblématiques du XXe siècle, Charlotte Perriand japonise à son tour. Dès avant la guerre, elle invente par exemple une très belle chaise longue dans l’esprit Mingei, utilisant le bambou, le grand matériau traditionnel de l’Extrême-Orient.

Cet esprit n’est pas mort. Il est revendiqué aujourd’hui par la nouvelle génération de designers japonais dont on peut voir les travaux à la Maison de la culture du Japon : « Wa , l’harmonie au quotidien ». Une bonne centaine d’objets, allant de l’appareil photo à l’autocuiseur de riz, laisse deviner la formidable vitalité d’un design nippon qui, après l’éclatement de la bulle financière à la fin du XXe siècle, a compris la nécessité de revenir au wa , c’est-à-dire l’harmonie au quotidien.

Au fond, un retour aux valeurs essentielles de discrétion, d’intériorité, de sincérité revendiquées par le grand écrivain Junichiro Tanizaki, dans un essai fameux, daté des années 30, « Eloge de l’ombre ». Mieux, un état d’esprit qui renoue avec l’une des traditions les plus anciennes du Japon, celle du bouddhisme zen. Venus de Chine, les partisans de ce courant spirituel s’installent plus massivement au Japon après les invasions mongoles, à partir de la fin du XIIIe siècle. Leurs moines prônent la méditation, la concentration sur soi, la capacité à faire le vide plutôt que le ruminement des saintes écritures. S’entendant comme larrons en foire avec les samouraïs, ils vont modeler de façon définitive la beauté japonaise.

Une splendide exposition, au Petit Palais-« Zen et art à Kyoto »-, montre l’étendue de leur savoir-faire dans les arts, en particulier dans la sculpture, la peinture et une calligraphie n’ayant rien à envier aux plus belles toiles des grands peintres abstraits des années 50. Mais ce que ces moines laissent de plus beau ne peut guère s’exposer comme l’architecture, ou encore ces jardins secs, où de minuscules collines de sable, ratissées tous les matins, figurent les montagnes. Sans oublier, bien sûr, les admirables pavillons d’Or et d’Argent de Kyoto. La manière de concevoir un bouquet-l’ikebana-ou d’organiser l’incontournable cérémonie du thé leur revient de la même façon. Dans de nombreux endroits publics et privés du Japon, aujourd’hui encore, règne heureusement l’esprit de ces moines zen qui avaient compris, il y a fort longtemps déjà, que dans le domaine esthétique less is beautiful, comme on le dit en anglais…

Quoi ? où ?

« L’esprit Mingei au Japon », musée du Quai-Branly. Jusqu’au 11 janvier 2009.

« Shokokuji, pavillon d’Or et pavillon d’Argent. Zen et art à Kyoto », Petit Palais. Jusqu’au 14 décembre.

« Splendeurs des courtisanes », musée Cernuschi. Jusqu’au 4 janvier.

« Konpira-san, sanctuaire de la mer. Trésors de la peinture japonaise », musée Guimet. Jusqu’au 8 décembre.

« Estampes japonaises », Bibliothèque nationale, site Richelieu. Du 18 novembre 2008 au 15 février 2009.

« Wa, l’harmonie au quotidien », Maison de la culture du Japon. Jusqu’au 31 janvier 2009.

Jean Pierrard

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