Les Japonais sont collectivistes et les Français individualistes : cette affirmation se rencontre souvent dans la presse ou dans la littérature interculturelle. Mais qu’en est-il? Certes, sur certains points, les Japonais semblent plus attachés à leurs groupes d’appartenance. Mais on observe aussi des situations dans lesquels ils ont des comportements individualistes. Revenons sur les bases du fonctionnement de la société japonaise.

Japon-tateshakai-azraIl y a en France comme au Japon des écoles, des entreprises, des équipes, ou encore des syndicats. Il existe cependant une opposition fondamentale. Celle-ci été définie dès 1969 par l’anthropologue Chie Nakane* comme le contraste entre société verticale (タテ社会) société horizontale (ヨコ社会). Une société verticale est un type de société dans laquelle les solidarités s’établissent dans des groupes hiérarchiques très définis, par exemple une administration, une entreprise ou une école. C’est le cas du Japon. Une société horizontale est une société dans laquelle les solidarités s’établissent principalement dans des groupes égalitaires aux frontières floues telle qu’une classe sociale, un corps de métier (cheminots, enseignants, ouvriers du bâtiment…), ou des organisations nationales (partis, syndicats).

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Les vélos garés n’importe où trahissent un comportement qu’on pourrait qualifier d’ « individualiste »

Ainsi un français ne ressentira guère de solidarité envers, par exemple, son entreprise. Il tendra à ressentir une certaine inimitié envers ceux des classes « supérieures » (cadres, patrons, grands capitalistes…) ou éventuellement « inférieures » (ouvriers…), ainsi qu’envers ceux qui ne font pas partie des mêmes corporations (fonctionnaires, agriculteurs…).

Ce qu’on pourrait appeler son « individualisme » est la manifestation de l’absence relative de solidarité avec ses groupes d’appartenance (entreprise, équipe…). En revanche, le même Français tendra à se sentir proche des membres de son milieu social, sans que la situation elle-même (au sein de l’entreprise, ou encore dans l’espace public…) ne fasse de grande différence. Ainsi, il pourra facilement lier conversation ou rendre service à des inconnus, à partir du moment où ils lui semblent proches sur le plan socio-culturel.

Inversement, le « collectivisme » japonais est plus exactement la manifestation d’un fort sentiment d’appartenance à des colonnes verticales de la société. Ces colonnes peuvent être emboîtées : ainsi, on appartient au service dans lequel on travaille, puis à l’entreprise elle-même, et au final au Japon, qui constitue l’ultime groupe vertical. Cependant, on ne ressentira peu ou pas de telle solidarité avec le Japonais ordinaire qu’on croise chaque jour dans l’espace public de la rue ou des transports en commun. Chacun y observera alors un comportement qu’on pourrait qualifier d’« individualiste ».

* Chie Nakane, 1971 : la société japonaise (中根千枝『タテ会の人間関係』、1969年)

Pour en savoir plus : Jean-Luc Azra (2011) «Les Japonais sont-ils différents?» (Éditions Connaissances et Savoirs)

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8 Commentaires

  1. Bon article

    « un français ne ressentira guère de solidarité envers, par exemple, son entreprise. Il tendra à ressentir une certaine inimitié envers ceux des classes « supérieures » (cadres, patrons, grands capitalistes…) ou éventuellement « inférieures » (ouvriers…), ainsi qu’envers ceux qui ne font pas partie des mêmes corporations (fonctionnaires, agriculteurs…). »

    C’est tout as fait ça, en résumé ils n’aiment ni les plus riches ni les plus pauvres.
    Ca reflète bien la societe dans laquel je vis 🙁

  2. La hiérarchie verticale dans l’entreprise. La solidarité des Japonais avec l’entreprise. Tout ça ne vaut que s’il y a le plein emploi.
    Dois-je éthiquement être loyal envers ma boîte, dont je sais qu’elle n’aura aucun état d’âme à me « lourder » en cas de baisse des commandes ?
    La politesse excessive des Japonais, leur loyauté excessive envers leur boîte….bref tout ce qui est excessif chez eux ne mérite-il pas d’être ramené à une relativité restreinte.

  3. Le fameux groupisme japonais est en effet paradoxal vu de France et le non moins fameux individualisme français l’est tout aussi vu du Japon. C’est surtout le nombre de facteurs historiques et religieux à prendre en compte dans ces deux pays compliquent sacrément la compréhension de ces sociétés qui semblent au premier regard si différentes.
    Je me suis souvent demandé comment le Japon qui fait l’apologie du groupe était passable en sports collectifs, n’en avait inventé aucun et par contre adorait les exploits individuels, les duels : les arts martiaux sont des duels, le sumo, le baseball est aussi un duel ( le lanceur et le batteur, les autres sont là pour le service).

    Je me suis aussi demandé pourquoi, le Japon qui adore les uniformes, l’indifférenciation,  » veut tapper sur les clous qui dépassent », n’a que dédain pour l’individualisme, n’est jamais arrivé à imposer des normes industrielles strictes, des standards ( le tatami n’est pas un standard : aucun n’est de la même taille), n’a pas un système electrique unifié ( 50 et 60 hz), construit des villes chaotiques où les codes d’urbanisme ne sont pas vraiment respectés où chacun construit comme il l’entend dans sa propriété, etc.

    J’ai lu quelques livres et études et aucun ne m’a donné de réponse satisfaisante. Je pense qu’à la place de chercher dans les conséquences, il est préférable de chercher les causes qui ont produit cette société et en premier lieux les deux plus importants moteurs de nos sociétés, la peur et le désir.

  4. Je ne suis pas d’accord avec Chie Nakane dans sa vision strictement horizontale de la société française et verticale de la société japonaise, simplement parce que des pays aussi complexes que le Japon et la France ne se résument pas à ces deux schemas. Emmanuel Todd avait donné pour la société française une explication plus fine, car cette société, même après deux siècles de jacobinisme et d’uniformisation sur le modèle parisien comporte encore des particularisme régionaux.
    L’analyse holiste de Nakane semble aussi se situer dans le courant « nihonjinron », vision nationaliste des intellectuels japonais visant à montrer que le peuple japonais est un et est plus unique que les autres.
    Le Japon n’est pas plus unique qu’un autre pays et de plus, les particularismes régionaux y sont très fort et tendent à montrer qu’il n’y a pas UN japon mais un archipel d’iles de cultures ayant des traits communs.

      • Oui, thomrogdev, il convient d’être prudent avec la vision dichotomique des penseurs « nihonjinron », le « nous » japonais contre « vous » étrangers.
        Déjà je ne comprends pas très bien que Jean-Luc pose actuellement cette question comme titre de son livre  » Les Japonais sont-ils différents? » car poser cette question est en fait une affirmation sinon il ne l’a poserait pas ou bien il faut la poser pour tout peuple ayant une culture différente. Donc, on peut aussi se demander  » les Russes sont-ils différents », » les Indiens sont-ils différents » ou  » les Juifs sont-ils différents ».

        Je vis depuis bientôt 15 ans au Japon et je ne me suis jamais posé cette question tant la culture japonaise et le mode de vie japonais est composite car si l’on enlève l’influence chinoise durant 1000 ans et l’influence  » occidentale » depuis presque les deux derniers deux siècles, il ne reste pas beaucoup de création réellement japonaise qui ne résulte pas de ce mélange entre Chine et « Occident ».

        C’est d’ailleurs ce mélange qu’ont tenté de réfuté les penseurs du nihonjinron en voulant prouver  » scientifiquement » que le Japon s’était pratiquement créé ex nihilo. Il faut se rappeler que ce mouvement de nationalisme culturel s’est essoufflé en même temps que l’économie japonaise car il était porté par celle-ci.
        Tout le monde se souvient ( les plus de 40 ans surtout) des comparaisons entre les salarymen et les samouraïs, entre les publicités qui insinuaient que des produits parfaits ne pouvaient être créés que par des hommes parfaits, que si les Japonais étaient supérieurs c’était à cause de leur cerveau different construit par la langue japonaise.

        Enfin, je voudrais que l’on n’utilise pas le mot  » individualisme » quand il s’agit plutôt d’opportunisme, d’égoïsme et d’égocentrisme.
        L’individualisme est un concept philosophique, politique, social et moral.
        http://fr.wikipedia.org/wiki/Individualisme

  5. Non, je n’ai pas du tout posé cette question comme une affirmation de ma part (et sur ce point, il faudra me croire sur parole), mais bien comme une *question* portant justement sur l’affirmation posée par une partie de la population japonaise. Pour faire clair: certains pensent qu’ils sont différents. OK. Le sont-ils? Cf. l’intro du livre en question. La réponse que j’en donne est en conclusion.
    En ce qui concerne la nihonjinron, je suis souvent houspillé sur mon usage de Chié et de Doï. Je vous garantis que je ne suis pas nihonjinroniste, bien qu’à la limite je n’aie pas à m’en défendre. En revanche, le travail de Chié, la question verticale / horizontale en particulier, fait parfaitement sens pour moi. C’est tellement puissamment descriptif de tout ce que nous rencontrons au quotidien (comme j’essaie de le montrer dans le livre) que j’ai du mal à comprendre qu’on puisse ne pas le voir. Maintenant, que ces idées puissent être *utilisées* par un courant que par ailleurs, je réprouve, ça m’est égal. Le Pen peut porter des caleçons, je ne vais pas pour autant arrêter de porter des caleçons 🙂
    Par ailleurs, mais c’est facultatif, j’aimerais savoir qui est mon lecteur et interlocuteur deepslv. Si ça se trouve, on se connaît, et il le sait et moi pas 🙂

    • La mise en abime est un principe narcissique. Je comprends que pour certaines raisons concernant l’edition d’un livre il soit judicieux de choisir un titre qui attirera le lecteur surtout si le lecteur est déjà convaincu et tient à conforter ses propres idées qui en fait ne lui sont presque jamais propres. Le succès des publications au Japon visant à montrer que les Japonais sont différents et uniques en est la preuve ( et pas seulement au Japon).

      Mon cher jean-Luc, je n’ai pas lu le livre mais je lui souhaite de rencontrer le succès auprès des lecteurs. C’est vrai que vivre au Japon en étant un étranger amène à se poser des questions sur ce pays à la fois si different et si semblable car on pourrait au contraire chercher les similarités plutôt que les differences ce qui pourrait faire l’objet d’un autre livre et la question deviendrait  » Les Japonais sont-ils SI différents? ».

      Pourquoi la solution de la société verticale nippone opposée à celle horizontale occidentale ne me convainc pas? Sans doute parce que Chie par du principe que la structure de la société japonaise n’a pas évolué et qu’elle puise son origine dans la nuit des temps mythiques. Elle part d’un instantané de la réalité contemporaine du Japon pour inventer un passé mythifié et elle fait de même avec un instantané de la réalité contemporaine occidentale. Son analyse est statique alors la réalité est dynamique.

      Pour prendre un exemple, les relations sociales au XIII siècle étaient-elles si différentes au Japon et en France?

      « Qui est deepslv? » C’est une question qui trouvera sa réponse en moins de pages que pour savoir  » qui est John Galt? », il suffit d’écrire à [email protected] ( en joignant dix timbres pour la réponse).

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