Depuis mars 2014 et le verdict de la Cour internationale de justice, le Japon n’est plus autorisé à chasser la baleine « pour la science » dans l’Antarctique. Sa condamnation en France notamment semble également une tendance dominante. Au Japon, en revanche, en plus des dirigeants politiques appartenant au parti de Shinzô Abe, une bonne partie de la population resterait attachée à cette pratique. Face aux critiques venues du monde entier, le pays entend toutefois adapter ses pratiques.

Des sushimi de baleine dans un restaurant de Tôkyô (DR)
Des sushimi de baleine dans un restaurant de Tôkyô (DR)

« Cette viande de baleine vient d’Islande, elle se mange très facilement crue et n’a pas d’odeur. Les enfants aiment beaucoup ! Au lieu du wasabi, je recommande de mélanger du gingembre râpé à la sauce soja », confie un boucher aux clients d’un grand magasin. Aujourd’hui, entre 2 000 et 3 000 tonnes de viande de baleine sont achetées par la population nippone chaque année, contre 220 000 tonnes en 1960, quand la population était 30 % moins importante et les besoins alimentaires réels.

Si l’intérêt pour cet aliment s’est nettement réduit dans le pays, il figure encore sur la carte de quelques restaurants et est commercialisé dans certaines boutiques. Sa chair n’est pas uniquement dégustée crue, mais en soupe (kujirajiru) ou encore en pot-au-feu (kujiranabe). Dans quelques villes du Japon, telles que Shimonoseki où appareillent les baleiniers, la chair de ce mammifère figure parfois au menu des plats distribués aux écoliers.

La préparation à partir des individus capturés est autorisée par la Convention internationale relative à la réglementation de cette chasse, afin d’éviter tout gaspillage. « Les Japonais sont les seuls à utiliser toutes les parties de la baleine – peau, chair, organes, os », indique Masayuki Komatsu, en poste à l’Agence des industries de la pêche jusqu’en 2008 et auteur de plusieurs livres sur le sujet.

Selon une enquête effectuée en 2008 par le quotidien Asahi Shimbun, plus de la moitié des personnes interrogées par téléphone étaient pour la consommation de cette viande – moins d’un tiers étant contre. En avril 2014, le résultat du sondage internet proposé par le journal Yomiuri Shimbun indiquait que 51 % des internautes souhaitaient manger de la baleine malgré la décision de la Cour internationale de justice (CIJ), qui a interdit la chasse à la baleine « pour la science » dans l’Antarctique.

Le Yushin Maru et sa prise du jour une baleine de Minke (© Customs and Border Protection Service, Commonwealth of Australia)
Le Yushin Maru et sa prise du jour une baleine de Minke (© Customs and Border Protection Service, Commonwealth of Australia)

L’argument scientifique

Revenons sur la décision prise par l’organe judiciaire principal de l’Organisation des Nations unies. Le gouvernement australien a déposé une requête introductive d’instance contre le Japon au Greffe de la CIJ le 31 mai 2010, affirmant que le programme de recherche JARPA II n’était pas mené à des fins scientifiques au sens de l’article VIII de la Convention. Le 20 novembre 2012, la Nouvelle-Zélande a, à son tour, déposé une déclaration d’intervention, en tant que non-partie à l’affaire, acte accepté par la Cour en février 2013.

Ces recherches nippones sur les baleines seraient en réalité une chasse commerciale camouflée, non autorisée par le moratoire. L’Archipel avait en effet lancé sa première campagne de chasse scientifique en 1987, après la suspension décidée en 1986 par la Commission baleinière internationale (CBI). Cette disposition interrompt en effet de manière générale à l’égard des États membres de la CBI la chasse à la baleine, celle-ci étant toutefois tolérée pour des activités de recherche ou pour les populations indigènes.

Le 31 mars 2014, la Cour de La Haye a déclaré que la chasse à la baleine menée par le Japon dans l’Océan Antarctique « n’est pas conforme à trois dispositions du règlement annexé à la convention internationale pour la règlementation de la chasse à la baleine » et ne remplit notamment pas d’objectifs de recherche. La juridiction internationale a ajouté qu’en conséquence le Japon ne recevrait pas de permis de chasse dans le cadre de son programme de recherche en cours (appelé JARPA II). Les principaux arguments des autorités japonaises, indiquant que leurs activités scientifiques ont abouti à des découvertes et qu’il est nécessaire d’agir contre la compétition entre espèces pour préserver les sources de nourriture disponibles dans les océans, n’ont pas convaincu la cour.

Le Japon a immédiatement indiqué qu’il allait respecter le verdict, en laissant toutefois la porte ouverte à de futurs programmes. Le Premier ministre Shinzo Abe ainsi que le ministre de l’Agriculture, des Forêts et de la Pêche ont fait part de leur regret et de leur déception suite à la décision de la CIJ. Face aux critiques, y compris venant du Japon, le gouvernement a toutefois insisté sur la nécessité de protéger les espèces, tout en indiquant qu’il préfère une régulation de la chasse à son interdiction.

Deux semaines plus tard, la commission parlementaire de l’agriculture et des pêches a adopté à l’unanimité une résolution appelant le gouvernement à poursuivre la chasse scientifique en faisant évoluer le programme. Suite à quoi le pouvoir a confirmé les missions côtières dans le nord du Japon et en haute mer dans le nord-ouest du Pacifique – zone non concernée par la décision de la CIJ –, en précisant une diminution du nombre d’individus à capturer de 45 % et projetant de renforcer les méthodes ne nécessitant pas de captures.

À ce propos, deux bateaux de recherche baleinière japonais, partis début janvier pour une mission scientifique menée dans l’Antarctique, sont rentrés le 28 mars 2015. L’équipage a notamment réalisé un décompte de population ainsi que des prélèvements de peau de baleine pour des analyses ADN, en ne procédant à aucune capture.

Le Japon essaie donc de tenir compte des décisions prises par les différentes instances en cherchant néanmoins à adapter son programme scientifique. Il semblerait montrer ainsi sa bonne foi et son désir de trouver une solution collective, car il pourrait très bien quitter la CBI comme l’a fait le Canada, autre grand pays baleinier, en 1982.

Jean-François Heimburger, journaliste

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