Comme le reste du monde, le Japon connaît une dure récession : la pire contraction (- 12,7 %) du produit intérieur brut (PIB) en rythme annuel qu’il ait connue en près de trente-cinq ans. Mais, dans son cas, s’ajoute une crise politique dont témoigne la chute vertigineuse de la popularité du premier ministre Taro Aso (avoisinant les 10 %). Au-delà de sa personne, de sa goguenardise, de ses tâtonnements, gaffes et volte-face, cette déroute reflète une perte de confiance dans le Parti libéral démocrate (PLD) au pouvoir.

En guerre contre un premier ministre issu de ses rangs, en proie à des luttes intestines, abandonné par l’opinion, le PLD est paralysé par l’opposition, majoritaire au Sénat. Elle lui tient la dragée haute mais n’incarne pas une alternative crédible.

La rencontre de la secrétaire d’Etat américaine Hillary Clinton au cours de sa visite à Tokyo avec Ichiro Ozawa, président du Parti démocrate du Japon (PDJ, la principale formation d’opposition) est cependant révélatrice du souci de l’administration Obama de ne plus jouer uniquement la carte libérale démocrate. C’est un Taro Aso à la barre d’un cabinet en train de sombrer qui devait partir le 24 février pour Washington pour être le premier chef de gouvernement reçu par Barack Obama. Selon la dernière enquête du quotidien Asahi (centre gauche), 71 % des sondés souhaitent son départ et 45 % lui préfèrent M. Ozawa.

M. Aso « plombe » le PLD, mais ses membres sont conscients aussi que leur parti, au pouvoir depuis 1955 – avec une traversée du désert entre 1993 et 1994 – présente de sérieux symptômes d’anémie politique. A la suite du populiste Junichiro Koizumi (2001-2006), les premiers ministres ont « valsé », ne tenant guère plus d’un an. En cinq mois, le sort de M. Aso paraît scellé. La seule inconnue est le moment : au plus tôt après la loi de finances, fin mars, au plus tard à la faveur des élections générales de septembre.

Si les libéraux démocrates veulent le départ de M. Aso, ils sont freinés dans leur élan par l’absence de remplaçant. Le PLD n’a plus d’hommes politiques de poids : une carence dont témoigne le cumul de trois portefeuilles par Kaoru Yosano, âgé de 70 ans, actuel ministre de la politique budgétaire, à qui reviennent, à la suite de la démission de l’ancien grand argentier nippon, Shoichi Nakagawa, les finances et les services financiers.

Les libéraux démocrates se cherchent une « étoile » médiatique pour affronter les électeurs, espérant un sursaut de popularité comme ce fut le cas avec M. Koizumi en 2001. Un retour de celui-ci en « homme providentiel » est une hypothèse caressée par certains ; d’autres ne sont guère convaincus. Inopinément sorti du bois après avoir déclaré renoncer à la politique, M. Koizumi a ridiculisé le projet de M. Aso d’octroyer une « enveloppe » de 12 000 yens (100 euros) à chaque citoyen pour relancer la consommation. Sa sortie a attisé la fronde au sein du PLD. Par instinct politique, M. Koizumi peut penser que la situation le favorise : le désarroi de ceux qui voient leur vie s’effondrer ouvre la porte aux « visionnaires » qui savent manier la formule.

Ce que la presse avait baptisé le « théâtre Koizumi », épinglant le « bling-bling » qui marqua ses six années au pouvoir, pourrait pallier temporairement l’inquiétude ambiante, et il ne déplairait sans doute pas à l’ego de M. Koizumi d’être rappelé au pouvoir en « sauveur ».

Les sceptiques soulignent cependant la rancoeur que nourrissent à son égard les travailleurs précaires, victimes de ses réformes du système de l’emploi. « Les jeunes, qui ont voté massivement en 2005 pour le PLD de Koizumi, ont pris conscience qu’ils ont plébiscité leur fossoyeur », note le politologue de l’université de Tokyo, Kang Sang-jung. La popularité de M. Koizumi a tenu à son jeu personnel plus qu’à sa politique.

Parmi les successeurs éventuels de M. Aso figure Kaoru Yosano, qui a pour lui la pondération et l’expérience. Si le PLD veut jouer le jeunisme, un prétendant peut être le fils du gouverneur de Tokyo, Nobuteru Ishihara, ou Yuriko Koïke, candidate malchanceuse lors de la désignation de M. Aso. Elle fait partie de ceux que la presse a baptisés « Koizumi children » (petit groupe des inconditionnels). Mais les avis sont partagés sur ses capacités.

Ces mises en scène médiatiques suffiront-elles à éviter au PLD de perdre le pouvoir ? Sera-t-il aussi facile d’évincer Taro Aso, déterminé à conserver les rênes du pays, convaincu qu’il est d’être l’homme de la situation ? Autant de questions qui taraudent les libéraux démocrates. Mais le plus grave est ailleurs.

Dans le passé, la force du PLD a tenu en partie à la faiblesse de l’opposition. Mais sous la houlette, depuis 2006, du manoeuvrier Ozawa, le PDJ a le vent en poupe. Mais il est peu homogène – transfuges de libéraux démocrates, anciens socio-démocrates et syndicalistes – et n’a aucune expérience de gouvernement. Son programme, axé sur une plus grande justice sociale et des relations plus équilibrées – et non de subordination – avec les Etats-Unis est encore bien flou, et, pour gagner les élections, le PDJ doit doubler ses sièges (113). Les analystes politiques pensent que ce n’est pas possible. Le PLD a moins de six mois pour inverser la tendance.

Philippe Pons

[Le Monde.fr->http://www.lemonde.fr/opinions/article/2009/02/24/japon-le-gouvernement-de-taro-aso-en-pleine-deroute-par-philippe-pons_1159631_3232.html]

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