Les Japonais s’excusent tout le temps: vrai ou faux? Assurément, «sumimasen» ou les autres expressions d’excuse japonaises s’utilisent plus souvent que leurs équivalents français. Est-ce simplement parce que les Japonais sont plus polis et plus respectueux des autres?
«Sumimasen», «gomen nasai» ou encore le plus familier «gomen-ne» : autant d’expressions d’excuse. Le Français qui vient au Japon s’étonnera de leur usage. Pourquoi quelqu’un à qui on offre quelque chose dit-il «sumimasen»? Pourquoi utilise-t-on le même «sumimasen» autant pour refuser que pour accepter? Pourquoi, lorsqu’un ami vous vient en aide, lui dit-on souvent «gomen-ne»?
En fait, ces mots d’excuse peuvent être utilisés dans des situations différentes :
- Les remerciements (kansha). On les formule envers la personne qui a rendu un service ou fait un travail qui n’était pas forcément dû (ce qui rejoint le cas de shazai, les excuses). Notons cependant que dans le cadre d’une relation habituelle (travail, service ordinaire, client, etc.), on emploie plutôt les formes ordinaires du remerciement (arigatô et ses variations).
- La réserve, la discrétion, la retenue (enryo). On en fait preuve quand on refuse un cadeau ou un service. En France, un tel refus peut être une forme d’impolitesse, mais au Japon accepter trop facilement serait considéré comme étrange ou grossier. Cela ne veut pas dire qu’on ne recevra pas au bout du compte le service ou le cadeau, mais il est important de le refuser d’abord.
- les excuses (shazai). On les exprime quand on a commis une faute, quand on a mis l’autre dans une situation désagréable, mais aussi tout simplement quand on a amené l’autre à faire quelque chose pour soi (comme de prêter sa crème solaire ou de faire du café).
Or, toutes ces situations ont quelque chose en commun : elles sont porteuses de giri, c’est à dire d’une dette morale envers quelqu’un. En effet, on devra offrir quelque chose à la personne qui nous offre, on devra se faire pardonner auprès de la personne qu’on a gênée. L’expression immédiate de la retenue, des excuses ou de la reconnaissance par « sumimasen » ou par une autre expression spécifique permet de se débarrasser immédiatement d’une partie de cette dette. En conclusion, il ne s’agit pas seulement d’une expression de politesse, ni seulement d’une question de respect de l’autre. On peut dire qu’il s’agit aussi d’une forme de protection de soi, permettant de limiter de ce qu’on devra repayer à l’autre.
Pour en savoir plus : Jean-Luc Azra (2011) «Les Japonais sont-ils différents?» (Éditions Connaissances et Savoirs)