Un jeu de Karuta (© Ceridwen)
Un jeu de Karuta (© Ceridwen)

Ceux qui ont lu ou vu le manga et l’anime Chihayafuru (ちはやふる) connaissent le karuta, ce poétique jeu de cartes, si exotique pour les gaijin que nous sommes. Ceux qui suivent mon blog savent aussi que je me suis récemment prise de passion pour le Hyakunin Isshu (百人一首), le recueil de cent poèmes utilisé pour jouer au karuta.

Cette anthologie, constituée au XIIIe siècle par Fujiwara no Teika (ou Fujiwara Sadaie) regroupe des poèmes datant VIIe à XIIIe siècles. À l’origine, ils ont été choisis pour orner les fusuma (panneaux coulissants) d’une résidence de montagne. L’auteur a choisi les cents poètes les plus éminents à ses yeux (百人) et a sélectionné pour chacun d’entre eux un tanka (一首), c’est-à-dire un poème de 31 syllabes organisé de la façon suivante : 5-7-5 7-7. Je vous propose d’étudier aujourd’hui le poème n°17, ちはやぶる, qui a donné son nom au manga précité.

ちはやぶる
神代も聞かず (かみよもきかず)
竜田川 (たつたがは ou たつたがわ)
からくれなゐに
水くくるとは (みずくくるとは)

Ce poème du 9e siècle a été écrit par 在原業平(ありはらのなりひら), qui passe pour un habile poète et un grand séducteur. À l’image du français, la langue de cette époque est évidemment plus difficile à comprendre que le japonais contemporain.Voici donc quelques explications :

ちはやぶる est l’image du sang bouillonnant, de la passion et de l’impétuosité. Il est souvent traduit en français par « passionné ». C’est un groupe de mots destiné à mettre en valeur 神, dieux, qui vient juste après.
神代 signifie 神の時代 (かみのじだい), c’est-à-dire l’époque des dieux, époque pleine de merveilles.
聞かず est l’équivalent de 聞かない, négation de 聞く, entendre. も, qui précède, a ici le sens de « même pas ». On parle donc de quelque chose que personne n’a pu admirer, même à l’époque des dieux passionnés

竜田川 est une rivière de la préfecture de Nara, particulièrement appréciée à l’automne parce que les feuilles d’érable rougissantes – phénomène appelé 紅葉(もみじ ou こうよう, littéralement, feuilles écarlates) – tombent dans l’eau et semble la teinter de rouge.

からくれなゐ doit être lu からくれない。ゐ est un kana archaïque (vous vous rendez compte, il y en avait encore plus à apprendre avant). Cela évoque un rouge vif et profond.

水 signifie eau et くくる signifie normalement attacher, fixer, mais son sens est ici celui de くくりぞめ、teindre. La dernière partie du tanka évoque donc une eau que les feuilles (jamais mentionnées) rendent écarlate, et la rivière est comparée à un vêtement de même teinte. とは qui finit le poème, se rattache à 聞く, entendre. La merveille dont on n’a jamais entendu parler, même à l’époque des dieux, c’est la beauté de cette rivière à l’automne.On peut donc tenter la traduction suivante :

Même au temps des dieux passionnés
Personne n’a ouï dire
Que les eaux de la Tatsutagawa
Soient à ce point teintées
D’un rouge écarlate.

Néanmoins, l’auteur n’avait pas peut-être pour seul but de vanter les charmes de la nature, et l’on peut facilement imaginer que la rivière évoque aussi le vêtement d’une dame…

****

J’ai commencé en faisant référence à un anime, et je vais finir de la même façon. En effet, le premier épisode de Chouyaku hyakunin isshu donne justement une (libre) interprétation de ce poème, que je vous invite à regarder. それでは、また.

Écrit par Élisabeth de Sukinanihongo

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4 Commentaires

  1. Pas vu l’anime Chihayafuru (ni l’autre cité à la fin, manque de temps), mais ils ne sont pas licencié en France. (par contre, le manga Chihayafuru l’est). On peut donc le regarder gratuitement et de manière éthique, meme si illégal.

  2. Bonjour, j’ai découvert le karuta avec le manga Chihayafuru, que je suis régulierement. Malheureusement je ne peut pas voir l’anime…
    J’ai regardé un anime super qui s’appelle Uta Koi et qui traite avec beaucoup d’humour la création de certains poèmes. Je vous le conseille fortement ! Il disait notamment, comme vous l’avez évoqué, que « Chiha » était adressé à l’amoureuse de Ariwara no Narihira.
    J’avais aussi lu tous vos articles sur ce thème de Sukinanihongo que j’avais également très appréciés, et j’ai été agréablement surprise de cet article ! J’adore vos traductions très bien expliquées ! Je suis d’ailleurs abonnée à ces deux sites. Je souhaite que votre passion pour pes kanji dure longtemps !
    « それでは、また。»

    • Bonjour,
      Cela me fait plaisir de voir d’autres personnes s’intéresser à ces poèmes. Cela m’encourage à continuer mon travail d’explication et de traduction.
      Chouyaku hyakunin isshu et Uta koi sont un seul et même anime, je n’avais pas mis le titre complet. C’est effectivement une bonne série d’introduction au Hyakunin Isshu.
      Comme Chouyaku hyakunin isshu : Uta koi, l’anime de Chihayafuru est disponible sur le site Anime ultime, en attendant d’être licencié en France. Mais évidemment, c’est encore mieux de lire le manga, qui, lui, est distribué !

  3. Bonjour,

    Merci pour cet article. Jouant moi-même au karuta, après avoir découvert ce sport grâce à Chihayafuru, maintenant que je connais bien les règles du jeu, je commence à m’intéresser au sens des poèmes et leur interprétation.

    Une exposition sur le karuta, intitulée « Karuta – La poésie à l’heure japonaise » se tiendra d’ailleurs à la médiathèque de Lanester (56) du 7 mars au 5 avril 2014. Elle présentera d’une part les 100 poèmes et leur traduction, et d’un autre côté, les règles du karuta de compétition (le kyougi karuta, 競技かるた) tel qu’on le découvre à travers Chihayafuru.

    L’inauguration de l’exposition aura lieu vendredi 7 mars à 17h dans le hall de la médiathèque. A cette occasion, 3 joueurs de Karuta Bretagne (membres de l’association Karuta France) seront présents pour faire une démonstration de karuta de compétition.

    En plus de l’exposition, des sessions d’initiation au karuta (sur réservations pour qu’il y ait suffisamment de jeux de cartes) seront prévues les :
    – mercredi 12 mars : de 14h30 à 16h
    – vendredi 21 mars : de 17h à 18h30
    – mercredi 26 mars : de 14h30 à 16h
    – mardi 1er avril : de 17h à 18h30
    – vendredi 4 avril : de 17h à 18h30
    Renseignements et réservations au 02.97.89.00.70

    Des ateliers de découverte de la langue et de la calligraphie japonaise seront également animés par Masae Robo de 14h30 à 16h, les :
    – vendredi 14 mars
    – mercredi 19 mars
    – samedi 29 mars
    – samedi 5 avril

    Médiathèque Elsa Triolet
    Rue Jean-Paul Sartre
    56600 Lanester
    [email protected]
    http://www.mediatheque.ville-lanester.fr

    Avec la participation de Karuta France ) et Karuta Bretagne ([email protected]).

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