Défaite électorale et remaniement ministériel en France : comparaison avec la politique japonaise.

Jean Marc Ayrault, ancien premier ministre de la France.
Jean Marc Ayrault, ancien premier ministre de la France. Photo : gouvernement français

L’instabilité politique est une maladie chronique qui touche tous ceux qui ont un jour fait l’expérience du pouvoir au pays du soleil levant. Dans l’histoire du Japon d’après guerre, les démissions sont légions : corruption, manque de résultats, popularité en berne ; le moindre couac dans la vie politique japonaise voit suivre sans délais la démission du ou des responsables. Alors que la France traverse une crise de confiance à l’égard de la classe politique, et à plus haut degré, à l’égard du pouvoir, l’option du remaniement ministériel a une fois de plus été choisie. Mais un changement de premier ministre résorbera-t-il le désaveu que la population vaut au président qui, lui, reste en place?

Il semble tout d’abord important de noter qu’au Japon, il n’y a pas de président, mais un empereur dépourvu de pouvoir politique (il est le symbole de l’unité de la nation, à l’image de la reine d’Angleterre, à peu de chose près). Le poste de premier ministre est donc le poste le plus élevé au sein de l’exécutif japonais. Si l’on prend comme point de départ le début de l’ère Heisei (1989, date a laquelle l’actuel empereur Akihito monte sur le trône), pas moins de 16 personnes ont pris les fonctions de premier ministre. En comparaison, sur la même période, la France en a connu 11, et seulement 4 présidents. Cependant, la volatilité des gouvernements japonais compense une absence quasi totale d’alternance politique. Avant d’être détrôné en 2009 par le Parti Démocrate du Japon (PDJ, Minshutô), le Parti Libéral Démocrate (PLD, Jimintô)  avait exercé le pouvoir sans interruption depuis 1945, exception faite d’une courte alternance entre 1993 et 1996 (période qui a tout de même vu s’enchainer 3 premiers ministres en trois ans!). De retour depuis 2012 avec le gouvernement de Shinzô Abe, nul ne peut prévoir si le PLD instaurera une nouvelle ère de suprématie politique au Japon.

Ainsi, les exemples de démission de premier ministre sont légions. Mais cette habitude est peut-être le secret de la longévité gouvernementale du PLD en tant que formation politique. Dominé par de nombreuses factions concurrentes, le parti conservateur permet à lui seul une forme de pluralisme. Si la politique d’un gouvernement échoue, la responsabilité est attribuée au chef de l’Etat et non à son parti. En somme, quel que soit son dirigeant, le PLD s’est toujours placé au dessus des individualités gouvernementales, il est presque intouchable malgré les déboires de ses membres. À titre d’exemple, nous pouvons citer Toshiki Kaifu qui démissionna de son poste au bout d’un an, en 1990, suite à sa décision d’envoyer les FAD (Forces d’Auto Défense) participer à la première guerre du Golfe, une initiative qui entraina sa chute dans les sondages d’opinion. Même cas de figure pour l’actuel premier ministre, Shinzô Abe qui, lors de son premier mandat entre 2006 et 2007, additionna une baisse de popularité (30% de japonais seulement le soutenaient) et une défaite électorale qui le poussèrent à la démission. On se souvient également de Naoto Kan du PDJ, très critiqué pour sa gestion de la catastrophe nucléaire de Fukushima en 2011, qui préféra abdiquer quelques mois après les évènements.

En France, les récentes élections municipales ont montré une perte de confiance généralisée vis-à-vis du gouvernement et par extension, une sanction à l’égard du Parti Socialiste (PS). Alors qu’au Japon, une telle situation aurait certainement provoqué au minimum la démission du premier ministre, l’Hexagone lui, a subit un remaniement ministériel. Il semblerait ainsi qu’en désignant un nouveau premier ministre, François Hollande cherche à se dégager de toute responsabilité relative à la défaite de sa formation politique. Mais ses quelques 25% d’opinion favorable et l’opposition féroce dont il est la cible compliquent l’exercice du pouvoir. Bien que sa position risque, à terme, de grandement fragiliser le PS, il serait surprenant de le voir suivre l’exemple de ses homologues japonais. Au pays du soleil levant, les pratiques politiques sont, somme toute, différentes : c’est le parti politique qui est au coeur du système (partitocratie), rarement des personnalités politiques. Néanmoins, on trouve dans l’histoire française des cas de démission par de grands hommes de pouvoir, dont le plus emblématique reste celui dont se réclament de nombreux politiciens français : Charles de Gaulle en 1969.

Iban Carpentier – Source : Eddy Dufourmont, Histoire Politique du Japon (1853-2011), Presses Universitaires de Bordeaux, 2012.

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7 Commentaires

  1. Quelque part, on se demande d’où sort ce type d’article sur un site comme Japon Infos …

    Mais, l’exercice étant en cours continuellement pour à la fois démolir une politique et un président à qui (faut croire, vu tout ce qu’on lit et entend) peu de gens reconnaissent une légitimité à exercer le pouvoir, vous avez simplement oublié, dans votre si subtile comparaison, une grande différence entre la France et le Japon, entre le président français, le plus haut personnage de l’exécutif de la politique en France, et le premier ministre japonais, son homologue (ah bon ?) : le président français a été élu au suffrage universel, n’en déplaise …
    La France a toujours connu des revirements sur des élections à un ou deux ans d’intervalle, ainsi en 2008 lors d’élections locales un an après l’élection présidentielle de 2007, en 1997 lors d’élections législatives anticipées deux ans après l’élection présidentielle.
    Prendre comme exemple la démission de Charles de Gaulle en 1969 est par ailleurs d’une parfaite mauvaise foi : il avait dit lui-même qu’il démissionnerait si les Français ne votaient pas selon ses souhaits lors du référendum sur la régionalisation, aussi parce qu’il voulait jeter l’éponge et que c’était plus facile ainsi en en rejetant la responsabilité sur le peuple sans prendre ses propres responsabilités après le fiasco de 1968 !

    Quant aux sondages : ils servent à quoi, à votre avis ? à donner raison à leur auteur ?

    • L’objectif n’est en aucune façon d’appeler ici à la démission du président français, ni de critiquer sa politique, sa personne ou quoi que ce soit d’autre. Le but est de mettre le doigt sur une différence d’usage, de vision ainsi que de système politique entre la France et le Japon. L’article n’avance que des faits qui, en version simplifiée, donnent à peu près ça : la popularité du président Hollande et de son parti le PS est très basse (en témoignent les résultats des élections municipales et, quoi qu’on en dise, tous les sondages) et des situation similaires au Japon ont déjà vu des premiers ministres démissionner. En France, d’une façon générale, ça ne se fait pas. Après, le débat reste ouvert.

      • mais justement : comment pouvez-vous comparer deux choses qui, par définition, ne peuvent l’être ? comment comparer deux systèmes politiques aussi disparates ?
        1) au Japon, un premier ministre japonais, soit l’exécutif le plus haut placé, qui démissionne aboutira tout au plus à un changement de premier ministre puisqu’il est élu par le parlement, et pas du parti au pouvoir … mais 2) en France, l’exécutif le plus haut placé est le président, élu au suffrage universel, et sa démission, pour des raisons de popularité très basse, entraînerait automatiquement des élections législatives anticipées, et donc évidemment un changement de parti au pouvoir

        le résultat serait absolument dramatique = une république bananière

        • Comme tente de le faire cet article, vous avez mis le doigt sur des différences fondamentales entre les deux systèmes politiques, ce qui est, en soi, une comparaison. Pourquoi ne pas comparer deux choses, si différentes soient-elles, qui sont de même nature : je ne compare pas la démission d’un chef d’état d’une démocratie à celle d’un dictateur, mais bien celle des présidents/premiers ministres de deux démocraties dans lesquelles l’avis du peuple semble compter un tant soit peu. Et leurs différences de système ne sont pas une barrière à leur comparaison au contraire, elles en sont une composante.

          Encore une fois, la question n’est pas de savoir si le président français doit démissionner, mais de chercher à savoir en quoi les pratiques sont différentes, et vous l’avez très bien relevé. Je suis navré que vous y ailliez vu un quelconque jugement de valeur ou parti pris car il n’en est rien.

  2. Il est bien difficile de comparer deux systèmes différents, une république avec un président qui a des pouvoir royaux pour 5 ans et une monarchie constitutionnelle dont le souverain inamovible n’a aucun pouvoir.

    Par contre on peut comparer les hommes et leur réactions dans les cas de mensonges, tricheries, négligences et autres villainies auxquelles nous ont habitués les politicards des deux pays.

      • Oui, Telly mais c’est de la France et du Japon dont on parle en ce moment.
        Ce qu’on peu comparer ce sont les mensonges des politiques dans ces deux pays, ils mentent continuellement devant leurs assemblées respectives sans que leurs carrières soient remises en cause.
        On peut aussi comparer leurs capacités à distribuer l’argent des contribuables à des entreprises privées de leurs amis pour qu’elles gardent des monopoles.
        l’on peut trouver je crois bien plus de points communs entre le Japon et la France que de differences bien que les institutions soient elles différentes.

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