Malgré le grand succès qu’ont connu, à partir des années 70, les théories émises par les nippologies au sujet de l’identité japonaise, celles-ci ont fait l’objet de vives critiques de la part d’un certain nombre d’intellectuels japonais contemporains. Leurs critiques se sont principalement situées sur le caractère nationaliste des discours des nippologies.

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La déesse Amaterasu, qui selon le shintō serait l’ancêtre commune des empereurs du Japon, et aurait donné au drapeau japonais son disque rouge, symbolisant le soleil. Estampe de Kunisada, ca. 1857

Les nippologies et la question de l’identité

Il y a un contexte historique dans le développement des discours des nippologies : il s’agit d’une période d’après-guerre, où face à l’occidentalisation grandissante des modes de vie, est apparu au Japon un besoin de se redéfinir et où a pu émerger le souci de la question identitaire. Ceci peut expliquer le regain d’intérêt et le succès, à partir des années 70, des théories des nippologies, ouvertement nationalistes et dont certains ouvrages deviendront des best-sellers.

On peut d’ailleurs observer un parallèle intéressant entre ce que l’on nomme « l’occidentalisation » du Japon, terme qui peut s’inscrire dans le contexte des théories orientalistes (c’est-à-dire les discours des occidentaux sur le Japon) et qui témoigne en fait de l’expansion économique du Japon dans les années 60, et cette résurgence des questions identitaires via les théories des nippologies, qui si elles ne sont pas présentées par leurs auteurs comme nationalistes, semblent néanmoins témoigner d’une volonté de repli sur soi.

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Le drapeau de l’armée impériale japonaise, dissoute en 1945

Avec les nippologies, ce qui aurait pu apparaître au premier abord comme la quête d’une identité personnelle et subjective, devient finalement une sorte de négation de l’individualité, car dans les nippologies, l’individu, en l’occurrence le Japonais, n’est jamais vraiment envisagé dans sa subjectivité mais plutôt pris dans la globalité de l’idée de ce que serait la nation japonaise, c’est-à-dire un tout uniforme et homogène dont les contours et les spécificités se fixent et se figent dans les théories des nippologies.

L’identité individuelle semble niée, puisqu’elle apparaît comme soluble dans une identité japonaise globale et nationale, que les nippologies s’attachent à définir comme unique, unifiée, et unitaire. Les Japonais sont décrits, dans ces discours, comme rassemblés en une unité culturelle et structurelle globale dont les « autres », c’est-à-dire les Occidentaux, ne sauraient saisir l’essence et le sens.

Plusieurs auteurs, principalement des anthropologues japonais et occidentaux, ont critiqué les théories élaborées dans les nippologies.

Les critiques des nippologies

L’anthropologue Emiko Ohnuki-Tierney s’est attachée à déconstruire les mythes esthétiques et symboliques mis en avant dans les nippologies (les cerisiers en fleur, le riz), et dont nous avons parlé dans la première partie de cet article, en les replaçant dans leur contexte socio-politique et économique. Elle a d’ailleurs donné le 13 janvier 2014 une conférence au Collège de France intitulée « Symbolisme et économie politique : « Le riz comme identité de soi » dans la culture et la société japonaise ». Son intervention visait notamment à analyser et mettre en perspective les conditions économiques du Japon avant les années 80, qui ne permettaient pas une autonomie rizicole, avec l’attachement culturel séculaire manifeste des japonais envers le riz comme symbole et élément constitutif fort de leur identité, dans une société qui fut longtemps agraire et paysanne.

Le véhicule d'un groupuscule d’extrême droite (© Marubatsu)
Le véhicule d’un groupuscule d’extrême droite (© Marubatsu)

Harumi Befu a quant à elle souligné la pauvreté épistémologique de ces théories. Selon l’anthropologue japonaise, certains auteurs semblent en effet s’être passés de la rigueur méthodologique requise en ethnologie et en anthropologie. Ainsi, les bases théoriques des nippologies sont trop fragiles et erronées pour pouvoir leur accorder de la crédibilité. Elle a également pointé le nationalisme sous-jacent dans la volonté des nippologies de définir l’identité, qu’elle soit japonaise ou occidentale, comme quelque chose de fixe et immuable, particulier et globalisant, et considère que les thèses culturalistes et déterministes développées dans ces théories au sujet de l’identité japonaise sont au fondement-même du nationalisme qui existe encore aujourd’hui au Japon.

On le constate à la lecture des théories des nippologies et à l’aune de leurs critiques : une des particularités les plus frappantes de ces discours est de fonder la définition de l’identité japonaise en opposition avec l’identité occidentale. L’opposition entre le Japon et l’Occident est ainsi présentée dans les nippologies comme une frontière culturelle et philosophique indépassable.

Aujourd’hui, le nationalisme est au Japon un courant minoritaire, mais présent chez la jeunesse d’extrême-droite connectée, surnommée « netto-uyoku ».

Pour en savoir plus :

  • Doi Takeo, Le jeu de l’indulgence : étude de psychologie fondée sur le concept japonais d’amae
  • Nakane Chie, La Société japonaise
  • Watsuji Tetsuro, Fūdo, le milieu humain
  • Benedict Ruth, Le Chrysanthème et le Sabre
  • Befu Harumi, « Nationalism and Nihonjinron » Cultural Nationalism in East Asia: Representation and Identity (article)
  • Conférence (en anglais) d’Emiko Tierney au Collège de France

Manon Courtaud

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